La responsabilité du patient face à sa maladie : un élément vital pour sortir du tunnel
Dans
le cadre des dossiers que nous demandons régulièrement à notre
consultant psychologue, Vincent Trybou, du CTAH (centre des troubles
anxieux et de l'humeur) en voici un qui traite de la responsabilisation
du patient que nous sommes face à la bonne gestion de notre maladie. Car
il ne suffit pas d'avoir le bon diagnostic puis le bon traitement, nous
avons également un rôle actif et très important à jouer pour aller
mieux.
Il
n’y a pas très longtemps, Bipolaire Info m’a demandé un texte sur la
responsabilité du patient face à sa maladie. Sujet pointu. C’est vrai
qu’on parle souvent de l’importance de l’information et du diagnostic
(« Ca
fait des années que je souffre de quelque chose dont je ne trouve pas
le nom. Je suis perdu face à un mal que je ne sais même pas identifier.
Où trouver la bonne information pour savoir de quoi on souffre ? On m’a
parlé de dépression mais n’y a-t-il pas autre chose caché en
dessous ? »), de l’importance du bon médicament («
Je découvre que je suis cyclothymique en allant sur internet, alors que
de nombreux médecins ne m’en ont jamais parlé et ont insisté bêtement
pour que je prenne des antidépresseurs dangereux pour moi ! »),
mais aussi de l’importance du soutien familial, l’importance des
rythmes de sommeil, l’impact du stress, … Dans tout cela, le patient a
bien des obstacles à franchir.
Le
patient est victime de sa maladie, victime du manque d’information,
victime de mauvais diagnostics et de traitements inadaptés ou dangereux,
victime de l’incompréhension de ses proches, pointé du doigt comme
« bizarre, taré, fou ». Cela fait beaucoup ! Mais il y a aussi un autre
facteur que l’on prend peu en compte, c’est le patient lui-même.
Certaines personnes ne se sont pas gênées pour lui dire qu’il ne faisait
pas d’efforts, qu’il détruisait la vie de sa femme ou de son mari,
qu’il n’était pas fiable, etc. La responsabilité, selon moi, ce n’est
pas se culpabiliser et se laisser culpabiliser, se draper dans la honte
et se laisser mourir, mais réfléchir à tout ce qui est bon pour pouvoir
avancer.
Il
y a quelques semaines, j’ai publié un texte sur le site minorités.org,
texte dont je vais reprendre un extrait pour Bipolaire Info : « Dans
mon travail au quotidien avec les malades psy, je fais tout pour ne pas
les stigmatiser, j’essaie de les rendre un peu plus fiers d’eux-mêmes,
leur dire qu’ils doivent se redresser, qu’ils ne sont pas des marginaux,
qu’ils n’ont pas à plaire à tout le monde, qu’ils n’ont pas de tares,
et que leur maladie ne les résume pas. Je les encourage à avoir du
respect pour eux-mêmes, de la patience pour avancer, à ne pas s’accabler
et à ne pas s’abaisser devant quelqu’un qui les critiquera à cause de
leur alcoolisme, de leur TOC, de leurs tentatives de suicide ou de leurs
troubles bipolaires. Mais je maintiens dur comme fer, et je leur casse
la tête pendant deux heures s’il le faut, en leur disant que leur
sommeil, que leurs médicaments, que leur hygiène de vie (zéro drogue,
zéro alcool, etc.) sont vitaux et obligatoires s’ils veulent avancer.
Que c’est de mon devoir de leur dire ce qui leur sera bénéfique et de
les mettre en garde contre ce qui leur sera néfaste. Et que je me moque
totalement qu’ils ne m’apprécient pas parce que je les ai engueulés car
ils ont picolé par dessus leur traitement, qu’ils me maudiront toute la
soirée, qu’ils se diront que je suis un connard, que je n’ai pas à jouer
le rôle de leur père, mais qu’à partir du moment où ils viennent
consulter chez moi c’est pour LEUR DEMANDE de soin et que cette demande
de soin et d’évolution requiert des exigences et des fondamentaux. Si je
ne gueule pas, c’est que je ne respecte pas leur demande. Si je gueule,
c’est justement parce que je veux qu’ils réussissent. La maladie fait
perdre pied, on crie pour revenir à une normalité, pour pouvoir refaire
des excès, mais on ne peut pas car la maladie sera encore pire et nous
le fera payer. Et c’est mon rôle de responsabiliser mes malades pour
leur donner le maximum de chances de s’en sortir. C’est pour cela qu’ils
me consultent, après tout. Je suis donc fondamentalement opposé à ce
discours visant à ne rien dire, cautionner, ne pas juger, ne pas
engueuler. C’est la meilleure façon de déresponsabiliser, infantiliser
la personne et la piéger dans des comportements qui la détruisent ».
C’est
toute la difficulté du juste milieu entre « information qui fait
avancer » et « information qui va provoquer la culpabilité ». Il y a des
choses qui sont nécessaires pour aller mieux, et il faut bien que ces
choses soient constamment rappelées.
Maintenant,
concernant les bipolaires et les cyclothymiques, je pense qu’il est
important de rajouter des éléments vitaux pour avancer :
-
l’argument selon lequel la cyclothymie et les troubles bipolaires sont
biologiques, génétiques, et sont sensibles au stress et aux évènements
de vie est vital.
Nier la biologie et la génétique, se cacher derrière une enfance comme
ceci ou cela, un mariage difficile, un travail stressant, une thérapie
sur l’enfance, etc, ne permettra jamais de stabiliser un trouble
bipolaire, car ces arguments nient la partie biologique et génétique du
trouble bipolaire et de la cyclothymie. Biologie et génétique signifient
médecine et non pas « tare ». Biologie et génétique signifient que nous
savons que ce n’est pas vous, votre caractère, votre personnalité,
votre éducation qui posent problème mais un truc dans le cerveau qui ne
fait pas son boulot correctement et vous handicape. Cela vous permet
justement de casser la culpabilité et la stigmatisation, au même titre
qu’un patient diabétique, cancéreux, épileptique. Vouloir constamment
voir dans la maladie la conséquence d’une enfance X, d’un environnement
Y, maintient l’idée que c’est psychologique et non biologique, cela
maintient le droit de vous considérer comme étrange, inapte, faible,
sans volonté. Cela ne peut donc que vous desservir. Après, bien sûr, il
convient de prendre en compte les évènements de vie, le stress, les
traumatismes, mais ces éléments là ne pourront que venir se superposer
sur une biologie spécifique. Une thérapie sur soi vient après une
biologie stabilisée, et non le contraire, sinon c’est l’assurance de
l’échec. Soyons donc vigilants par rapport à ces personnes qui vous
diront qu’il faut décortiquer ceci ou cela dans votre vie, que c’est la
source de tout, et faites attention à votre propre tendance à invoquer
des souvenirs passés pouvant expliquer ceci ou cela. Un pourcentage
important des patients bipolaires fait des dépressions sans déclencheur
ou avec des déclencheurs qu’ils reconnaissent eux mêmes comme décalés
par rapport à la violence (ou la durée) de leurs dépressions. De même
pour les hypomanies ou les montagnes russes de la cyclothymie : le plus
souvent, rien n’explique ces phénomènes, ils semblent fonctionner en
dehors de votre volonté et du contexte.
- arrêtons avec l’illusion que l’on peut avoir la même vie que tout le monde !
Non, une personne souffrant de troubles bipolaires ou de cyclothymie
n’aura pas la même vie que tout le monde pendant un certain temps. Et ce
« certain temps », c’est le temps d’être stabilisé. La stabilisation
est dépendante du diagnostic, du médicament, du bon sommeil, de la prise
régulière du médicament, de la bonne gestion du stress, de la fatigue
professionnelle, de la compréhension de la maladie par l’entourage, de
la consommation d’alcool, de café (et autres excitants), de tabac, de
drogues, des aléas des histoires d’amour. Un patient qui croit qu’il
peut cumuler alcool et médicaments ne se respecte pas et diminue ses
chances de voir s’améliorer son handicap. Un patient qui veut réussir
professionnellement au point de tuer son sommeil, se met en danger.
Quand le patient est stabilisé, il peut reprendre ses passions, sa vie,
son travail avec grand soulagement. Mais il devra rester très vigilant
au sommeil, aux oublis de médicaments, aux stimulants, au stress, au
surmenage, etc. Et bannir les drogues et la consommation abusive ou trop
régulière d’alcool.
- arrêtons avec l’illusion que la stabilisation doit arriver vite :
un trouble bipolaire est une maladie complexe, car il y a de la
dépression, des hypomanies, des épisodes mixtes, et tout cela change et
se mélange tout le temps. Il faut trouver le bon diagnostic entre les
différentes formes de troubles bipolaires, trouver le bon traitement. Un
traitement, qui a fait ses preuves avec un autre patient souffrant du
même trouble, peut ne pas marcher chez vous. On abandonne ? Non, on
n’abandonne pas, sinon cela ne sert à rien d’avoir souffert pendant des
années. On continue ! Le médecin analyse pourquoi cela ne marche pas
avec ce traitement. Y a-t-il une particularité dans votre trouble qui
entraine cela ? Est-ce incompatible avec les anciens traitements que
vous avez eus et qui ont fatigué votre cerveau ? On teste un autre, puis
un autre, jusqu’à obtenir la formule idéale. Le trouble bipolaire est
exigeant et il réclame une immense patience. Un échec est aussi une
piste à analyser pour avancer car il nous apprend ce que votre cerveau
tolère et ne tolère pas. Quand on voit comme certaines femmes ont du mal
à trouver la pilule contraceptive la plus confortable, on peut se
donner la même patience pour un trouble aussi complexe que la
bipolarité. Votre maladie se moque de votre impatience, aussi légitime
soit votre impatience et votre ras le bol des années de traversée du
désert.
Dans
tout cela, gardons le plus important : dans la maladie, je vise
toujours le respect de moi même. Je vise à ne pas me nuire et à
respecter autant que possible les règles d’hygiène de vie, les « bons »
rythmes et les conseils thérapeutiques. Le but n’est pas de faire
disparaître les manifestations de la bipolarité (ce qui est impossible)
mais « avoir la santé » dans le sens de pouvoir jouir de ses capacités
et assurer un niveau de fonctionnement adapté à ses capacités. Un tel
objectif ne peut être obtenu qu’avec une alliance thérapeutique, une
acceptation du trouble et un engagement de se prendre en charge.
L'hygiène de vie, j'en connais un rayon ! Enfin surtout la mienne :)
RépondreSupprimerJe ne consomme ni alcool ni drogue. Je fais très attention à mon sommeil.
Dernièrement j'ai appris que je devais aussi faire attention à ma gestion du travail qui implique un stress important.
A force, je vais y arriver !
SupprimerBonsoir Soldat,
L'hygiène de vie est très importante, mes psy ne cessent de me le dire.
Mais voilà moi j'ai un gros problème pour trouver le sommeil, pour te donner un exemple, cette nuit je n'ai pas dormis, je suis restée devant le feu de cheminée à tapoter sur les touches du clavier.
Et lorsque je dors mon sommeil est agité, les cauchemars ne cessent de me hanter.
Ce qui inquiète beaucoup mon psychiatre.
Oui Soldat, et ton pseudo est bien choisit, tu vas parvenir à combattre ta maladie !!!
Bon courage
Nathy
Article très intéressant, merci Nathy pour ce partage !
RépondreSupprimerJ'ai bien aimé le passage sur la responsabilité des uns et des autres.
Cath
SupprimerBonjour Cath,
Cet article est intéressant aussi bien pour les malades que pour aider l'entourage à comprendre
Pour ce qui est de mon cas, il m'a aidé, m'a ouvert un peu plus les yeux face à la bipo.
Nathy
Bonjour Nathy,
RépondreSupprimerJe trouve que ton article est très intéressant aussi, j'apprécie le thème de responsabilisation qui vise l'autonomie par rapport à la maladie.
je me permet simplement de faire une remarque sur "Biologie et génétique signifient médecine et non pas « tare »." car on peut penser que parler d'une maladie biologique lié au cerveau permet de destigmatiser. Le fait est que pour le public non averti quand on leur parle de maladie du cerveau, il pense en général que c'est justement irréversible, c'est la tête, Doc! qu'il n'y a rien à faire.
Voir l'article canadien en cliquant sur mon pseudo.
Il ne s'agit pas d'une maladie bio-bio-bio mais bio-psycho-social. Je pense qu'il ne faut pas négliger les aspects psychologique et sociaux.
Bonne continuation et merci pour ton travail!
Bonjour Bipote?
SupprimerLa maladie du cerveau est mal perçue, pour beaucoup de personnes, la dépression n'existe pas, d'ou ces remarques "bouge toi..quel problème as tu pour te plaindre..." ou alors l'indifférence, le silence, un tabou !!! et le pire est de rentrer dans la catégorie "c'est un fou, une folle.."
Je pense comme toi que plusieurs aspect peuvent entrer en compte dans la bipolarité, tel que l'environnement, un choc traumatique...
Je vais de ce pas aller voir ton blog
Merci pour ton com
Nathy
oups, le lien de l'article canadien.
RépondreSupprimerhttp://www.fcass-cfhi.ca/PublicationsAndResources/Mythbusters/ArticleView/12-06-04/a078ceca-4a41-4d14-82b5-b60f5a8bb991.aspx?Jun+FCRSS
SupprimerBipote,
Merci beaucoup pour ce lien très intéressant, à lire !!
Un passage m'a fait froid dans le dos (et pourtant au XXIème siècle, nous en sommes toujours là !!),
voici l'extrait :
Alors pourquoi les maladies mentales ne sont-elles pas des maladies comme les autres? Selon les données probantes, bien que le public ait moins tendance à mal juger les personnes en raison de leur maladie mentale biologiquement déterminée[7], l’idée même qu’ils puissent agir à leur insu sème la crainte de leur imprévisibilité, d’où la perception que les malades mentaux sont dangereux[8-11, 15] et qu’ils sont à éviter[7, 11, 16-18]. Des explications biologiques peuvent également inculquer une attitude de « nous et eux » qui voit les personnes atteintes de maladie mentale comme étant fondamentalement différentes[19]. Par exemple, une enquête de 2008 auprès des Canadiens[20] a constaté que :
42% ne se socialiseraient plus avec un ami ayant reçu un diagnostic de maladie mentale;
55% ne se marieraient pas avec une personne atteinte de maladie mentale;
25% auraient peur de côtoyer une personne atteinte de maladie mentale;
50% ne diraient pas à des amis ou des collègues qu’un membre de leur famille est atteint de maladie mentale.
Nathy
RépondreSupprimerBipote,
Je voulais aller te lire en cliquant sur ton pseudo, mais il est impossible d'accéder à ton blog...message d'erreur ??
Envoies moi ton URL, si tu le désires bien sûr.
Nathy