L'Hermite...
L’Hermite
La vocation de l’ermite est souvent mal comprise. L’ermite ne se
retire pas du monde parce qu’il se sent rejeté, parce qu’il n’a rien
trouvé de mieux à faire que d’errer dans les montagnes ou parce qu’il
est incapable de faire face à ses responsabilités. S’il prend cette
décision qui peut paraître extrême, c’est qu’il s’est rendu compte qu’il
ne peut pas contrôler son esprit et résoudre le problème du bonheur et
de la souffrance au milieu des activités sans fin de la vie ordinaire,
aussi futiles que distrayantes. Il ne fuit pas le monde, il prend ses
distances par rapport à lui pour le mettre en perspective et mieux
percevoir son fonctionnement. Il ne fuit pas non plus ses semblables, il
a besoin de temps pour cultiver l’amour et la compassion authentiques
que n’affecteront pas les préoccupations ordinaires comme le plaisir et
le déplaisir, le gain et la perte, la louange et le blâme. Comme le
musicien qui fait ses gammes ou l’athlète qui entraîne son corps, il lui
faut du temps, de la concentration et une pratique assidue pour
maîtriser son esprit chaotique, pénétrer le sens de la vie, puis mettre
sa sagesse au service des autres. Sa devise pourrait être : “ Se
transformer soi-même pour mieux transformer le monde. ”
Les situations agitées de la vie ordinaire, en effet, rendent très
difficiles le progrès dans la pratique, et pour développer sa force
intérieure, il est préférable de se consacrer uniquement à
l’entraînement de l’esprit pendant le temps qui sera nécessaire.
L’animal blessé se cache dans la forêt pour guérir de ses blessures
avant de pouvoir gambader à nouveau comme il lui plaît. Nos blessures à
nous, ce sont celles de l’égoïsme, de la malveillance, de l’attachement,
et des autres toxines mentales.
L’ermite ne “ pourrit pas dans sa cellule ”, comme certains l’ont écrit.
Ceux qui ont fait l’expérience de ce dont ils parlent vous diront
plutôt qu’il mûrit dans son ermitage. Pour celui qui demeure dans la
fraîcheur de la pleine conscience du moment présent, le temps n’a pas la
lourdeur des jours passés dans la distraction, mais la légèreté du vécu
pleinement savouré. Si l’ermite perd le goût de certaines
préoccupations ordinaires, ce n’est pas que son existence est devenue
insipide, c’est qu’il reconnaît, parmi toutes les activités humaines
possibles, celles qui contribuent véritablement à son propre
épanouissement et au bonheur des autres.
Matthieu Ricard
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