Force
est de constater que l’actuelle période faite d’agitation où
tout s’accélère, est un terrain propice aux somatisations qui
ponctuent le quotidien dès qu’une douleur ou une fatigue se fait
ressentir. Selon le langage courant la somatisation évoque des
souffrances diverses localisées au niveau du corps. Mais somatiser
montre bien plus que cela. C’est l’évocation d’un mal être,
d’une plainte qui se matérialise par un ensemble de symptômes
plus ou moins bien définis.
Aussi,
la somatisation représente un signal. Celui de l’urgence de
s’occuper de soi afin de reconnaître l’existence d’un trouble.
Pour cela l’exploration du langage corporel est nécessaire, le
corps ayant le pouvoir d’exprimer par une symbolique qui lui est
propre le dérèglement du psychisme et de la souffrance de l’âme.
A
ce stade, la question dépasse le «pourquoi je somatise» pour
s’intéresser au «comment je somatise». Elle invite à décoder
le langage d’un corps souffrant pour pénétrer les mystères des
interactions entre
la
physiologie et la psyché.
Qu’est
ce que la somatisation ?
En
grec, «soma» signifie «corps». La somatisation est la traduction
d’un conflit psychique en affection somatique.
Historiquement
les premières somatisations furent repérées à la fin du 19ème
siècle par l’observation de cas d’hystérie.
Chez
ces patients, il s’agissait d’une détresse psychologique qui
s’exprimait par des troubles neurologiques avec l’installationde
paralysies.
Pour,
Freud, Breuer et Charcot, médecins et chercheurs de l’époque, le
lien entre le mental et le corps apparût
assurément. Puis,dans les années 50 l’observation des maladie sa
confirmé l’association
de facteurs psychiques. La relation entre le corps et l’esprit se
renforça.
Aujourd’hui,
aborder la somatisation c’est poser le constat préalable de ce
lien indéfectible entre l’appareil psychique et le corps. C’est
aussi reconnaître l’expression de son dérèglement lorsqu’il se
manifeste sous la forme d’une souffrance corporelle codée.
La
globalité comme principe fondamental
Déchiffrer
le mécanisme de la somatisation oblige à cesser de vouloir
compartimenter l’individu, de le diviser
en tranches comme si l’on soignait que des éléments indépendants,
séparés de la considération de l’ensemble.
Et
malgré les progrès d’une médecine toujours plus performante dans
ses applications techniques, la somatisation et son cortège de
symptômes reste un des aspects les plus fréquents concernant
les plaintes observées en consultations de médecine générale.
Que
dire alors des manifestations corporelles qui accompagnent le vécu
des patients au cours des
séances de psychothérapie?
Par
conséquent, l’absolue nécessité d’envisager une approche
globale montre une passerelle entre les différents
niveaux de fonctionnement d’une personne, lorsque les maux du corps
retentissent sur les blessures de l’âme.
Comment
ça marche ?
Le
mécanisme est subtil et reflète la complexité de l’Etre. En état
d’équilibre notre corps obéit aux lois de la physique et de la
chimie tout comme notre psychisme est sous l’emprise de forces
conscientes et inconscientes. La régulation harmonieuse de ses
forces génère des sensations de bien être et un sentiment
de faire face aux événements de la vie. Pour nombre d’entre nous cette
perception est le fruit d’une adaptation permanente des tensions
courantes qui sont ressenties
entre notre vie intérieure et les fluctuations de la vie extérieure.
En cas de perturbations trop importantes les angoisses et les
tensions deviennent trop fortes et dérèglent la stabilité mentale
qui se trouve alors en danger. La conscience, prise en défaut
d’acceptation,refuse et refoule l’énergie de la menace dans
l’inconscient.
Les forces internes se bouleversent et l’équilibre du
fonctionnement de l’appareil psychique est rompu. Comme de toute
façon l’énergie de la tension doit forcément s’exprimer, elle
produit un
symptôme qui apparaît sous la forme d’une manifestation
corporelle. C’est le processus de somatisation.
A
chacun sa propre expression
Enumérer
toutes les formes de somatisation serait fastidieux tant chaque
individu réagit aux événements de la vie d’une façon qui lui
est spécifique. Cependant, les troubles somatiques concernent
habituellement la physiologie des systèmes cutané, articulaire,
gastrique, neurologique et sexuel. Par exemple l’association
de douleurs atypiques localisées aux niveaux du dos, des
articulations, de la tête...,l’existence
de nausées, de vomissements, de diarrhées. Sur le plan sexuel, des
troubles de l'érection ou de l'éjaculation, la frigidité, le
vaginisme, des règles irrégulières et excessives. D’autres
manifestations apparemment neurologiques peuvent signifier une
somatisation: la « boule dans la gorge » ou «le nœud» à
l’estomac. La perte de la sensibilité tactile, des hallucinations,
une amnésie. Le psoriasis et l’eczéma sont aussi le reflet
somatique de troubles anxieux qui se dévoilent au niveau de la peau.
L’évolution
vers la maladie psychosomatique.
Dans
le meilleur des cas la somatisation se manifeste sous des aspects
bénins et réversibles, les symptômes revenant souvent avec la même
forme: crises d’asthme, hypertension, coliques et de douleurs.
En
plus de leurs impacts sur l’individu, ils provoquent une souffrance
sociale et professionnelle. Par la suite, l’évolution vers une
chronicité se fait conjointement avec l’affaiblissement des
défenses naturelles de l’organisme. C’est la porte ouverte à
l’installation de maladies psychosomatiques souvent graves de part
leur irréversibilité. Comme les maladies auto-immunes et les
maladies cancéreuses dont l’évolution peut conduire jusqu’à la
mort.
Comment
repérer la somatisation ?
Cette
sinistre progression peut s’éviter dès que l’on s’applique à
porter une attention aigue aux
symptômes. Pour cela, il faut dans un premier temps savoir s’écouter
et s’arrêter. Il n’est pas question ici d’encourager
quelconque forme de nombrilisme ou de légitimer l’hypochondrie,
mais plutôt de développer une conscience corporelle qui aura pour
but de se laisser guider vers la présence d’un conflit qui se joue
en arrière plan dans la profondeur de l’inconscient. L’objectif
ambitionne le rétablissement de l’équilibre entre le mental et le
ressenti corporel. Mais le chemin est long et sinueux. En effet,
énormément de personnes se sentent «coupées» de leurs
sensations révélant leurs présences que lors de l’apparition de
la douleur. Il est bien souvent trop tard. Le processus de
somatisation est déjà en route. Faire attention à ses sensations
est accessibles
et le message spécifique qu’elles nous adressent vaut largement le
fait d’être entendu.
Il faut
donc commencer par nous mettre sur «pause», sentir et ressentir...
Un
langage à décrypter
C’est
établi, le corps a la
capacité d’exprimer à grands «cris» la souffrance psychique.
Les symptômes signent alors unlangage
symbolique bien spécifique qui conduit inexorablement à la
rencontre des émotions et des sentiments refoulés. Son décryptage
mène vers une conscience claire et lucide des conflits inconscients.
A charge pour chacun, avec l’aide d’un thérapeute si nécessaire,
de déterminer le sens et d’y remédier.
Aussi,
comprendre la somatisation est d’un intérêt majeur: libérer
l’énergie du conflit comme le ferait une soupape pour permettre à
nouveau l’équilibre. L’enjeu d’un retour à la stabilité du
fonctionnement psychisme est à ce prix. Voici quelques exemples
significatifs relevés lors de psychothérapies que j’ai pu menées.
Patrick,
38 ans souffre d’une impuissance sexuelle (symptôme corporel).
Dans l’histoire de mon patient, elle traduit le refus de sa propre
puissance et son impossibilité à s’exprimer face à une mère
castratrice (conflit psychique inconscient).
Viviane
me consulte pour une sensation d’étouffement associée à une
boule permanente dans la gorge (symptôme corporel). Chez cette femme
de 32 ans, les symptômes manifestent la souffrance d’une
naissance difficile avec étranglement par le cordon ombilical,
(conflit psychique inconscient).
Pascale
41 ans, souffre d’une maladie rhumatismale généralisée associée
à une dépression existentielle (symptôme corporel). Un lourd
secret de famille concernant les circonstances dramatiques du décès
d’un enfant, traduisait
une énergie destructrice contre elle-même et exprimée par le
processus inflammatoire (conflit
psychique inconscient).
Les
psychothérapies menées ont permis d’améliorer considérablement
l’état des ces patients.
Approche
thérapeutique
Etre
attentif à la psychosomatique est important. Mais ilne serait pas
juste de tout psychologiser. Il s’agit simplement d’être
observateur de ses fonctionnements,du sens que peut prendre une gêne
ou une
douleur insolite. Je le rappelle à nouveau: le corps et l’esprit
sont intimement liés.
S’occuper
de guérir uniquement le symptôme sans s’attacher à la cause
diffère la souffrance.
Par
conséquent, le traitement de la somatisation impose une démarche
profonde et globale.
L’association
d’une psychothérapie analytique à la dimension psychocorporelle
est souvent très efficace.
Le
thérapeute considère l’histoire du patient tout en travaillant
les lieux du corps où se manifestent les douleurs et les tensions.
Ici, le «toucher» prend toute sa place et permet l’éveil des
émotions et des sensations.
Le
but étant de donner au patient la possibilité de dire son ressenti
afin de conscientiser les résistances internes. Une autre approche
thérapeutique concerne la pratique de séances de sophrologie et la
relaxation. Ces méthodes corporelles restaurent l’équilibre
psychosomatique.
Enfin
la mise en situation lors de jeux de rôle favorise la prise de
conscience des
conflits
refoulés.
La
somatisation est le moyen mis en œuvre par l’organisme pour se
protéger de trop grandes tensions psychiques. Cette souffrance
cachée, cristallisée dans le corps par le symptôme est un appel
qui informe d’un
dérèglement en court.
Ne
pas l’entendre revient à retourner contre soi de grandes forces de
destruction. Il suffit de se porter de l’attention pour en
décoder la signification.
Éric
TOGNON