En décembre 2010, L’Express
avait répertorié 10 médicaments à retirer d’urgence du marché, dont le
Zyprexa®. Ce psychotrope, commercialisé en France depuis 1999, est
utilisé contre la schizophrénie. Son principe actif est
l’olanzapine. Déjà prescrit à plus de 20 millions de malades, ce
médicament qui est, de loin, le plus rentable du laboratoire Ely
Lilly, fait partie de la liste des 77 médicaments considérés dangereux par l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé). Cela n’empêche pas qu’il soit
toujours en vente et remboursé à 65 %, alors que la boite de 28 comprimés de 10 mg coûte 61,03 euros.
Or, on sait à quel point la prescription de ce genre de drogue dépasse les cibles
officiellement déclarées puisque le Mediator était largement ordonné comme coupe-faim. L'objectif
commercial de tout laboratoire est
d’élargir les indications de leurs médicaments pour pouvoir les
prescrire plus largement. Au fil des ans, Lilly a suggéré, études à
l'appui, que le Zyprexa® est efficace pour la dépression et les troubles bipolaires.
Aussi, comment croire qu’il n’est prescrit qu’à des schizophrènes ?
Dès 1996, nombre de critiques, particulièrement celles de l'Association américaine des
diabétiques, ont signalé que ce médicament était plus apte à provoquer le diabète que les autres drogues conseillées pour la schizophrénie.
Malgré l’évidence, le laboratoire a toujours contesté ces effets
secondaires, alors que depuis 1999 il s’en inquiétait, non par rapport aux malades mais aux ventes qui pourraient se réduire. Comme le
directeur médical de la firme, le Dr Alan Breier, l’écrivait en novembre 1999 dans un courrier Internet
à deux douzaines d’employés de la maison : « Le gain de poids et
l'hyperglycémie associés à l'olanzapine sont des menaces majeures au
succès à long terme de cette molécule d'une importance capitale. » Il
est évident que « l’importance » de cette
molécule ne concernait que les finances « à long terme » de la firme
pharmaceutique.
Les
ventes sont devenues plus difficiles lorsque les médecins se sont
aperçus des réactions
pernicieuses. Aussi, en 2002, Lilly rejeta le projet d’informer les
psychiatres au sujet du diabète afin de ne pas ternir la réputation du
Zyprexa®. Le
laboratoire étendit alors son marché auprès des généralistes, moins
avertis des effets secondaires du produit. Il encouragea ses
représentants à
décrire ce médicament comme un psychotrope « sûr, doux, parfait pour
ceux qui ont des maladies mentales sans gravité ».
Pendant
plusieurs années, Eli Lilly a fourni aux médecins des informations sur
son médicament vedette qui ne correspondaient guère aux résultats
internes mis à jour par la firme
lorsqu’elle procéda aux premiers essais cliniques du produit. En
effet, en 2001, les services commerciaux du laboratoire ont avoué que
les psychiatres ne cessaient de répéter que la plupart de leurs patients qui prenaient du Zyprexa® courraient plus de risques d’avoir du diabète que ceux qui utilisaient d’autres médicaments
antipsychotiques.
Ces manigances d’Eli Lilly ont été révélées le 21 décembre 2006 par le New York Times
qui a publié des informations concernant les agissements du laboratoire. Les documents
publiés par ce journal lui ont été fournis par
James B. Gottstein, un avocat canadien représentant les familles de
plusieurs malades mentaux qui attaquaient l’État de l’Alaska pour avoir
forcé ces patients à prendre des médicaments
psychiatriques contre leur gré. L’avocat tenait ces documents d’une personne impliquée dans le procès et il n’était pas soumis à la règle
de confidentialité qui couvre les poursuites judiciaires.
D'après ces dossiers internes de la firme, les dirigeants du laboratoire ont caché aux médecins d’importantes informations concernant 30 %
des patients traités par ce médicament qui ont très rapidement pris
du poids dès la première année. Il faut savoir que la plupart des
psychotropes actuellement sur le marché engendrent ce type
d'effet indésirable et l’Afssaps a toujours considère ce gain de
poids comme « très commun et supérieur à 10 % ». Cette augmentation est
accompagnée de risques de diabète que la
firme pharmaceutique a toujours essayé d’occulter, persistant à nier
tout lien de causalité entre la prise de Zyprexa® et la survenue d'un
diabète.
Eli Lilly a demandé qu’on lui rende ces documents, déclarant qu’il lui
était impossible de les commenter. Les responsables du laboratoire répétaient que le Zyprexa® reste un médicament majeur dans le traitement de la schizophrénie et déploraient « la diffusion illicite de documents confidentiels ». Malgré
cette « illégalité », ils ne souhaitaient pas poursuivre le journaliste ou le directeur de la publication du New York Times. On les comprend car leur position n’aurait pu qu’en
être aggravée. Ils affirmaient alors avoir fourni à la FDA (Food
and Drug Administration) toutes les études sur les essais cliniques et
les rapports d’effets adverses du médicament, mais persistaient à
soutenir qu’il n’existe aucune évidence scientifique que le Zyprexa® puisse causer le diabète. Ils déploraient que ces documents aient pu être publiés car cela
risquait d’effrayer les patients qui pourraient alors de ne plus prendre leur médicament.
Les
documents publiés par le journal américain comprennent les e-mails, le
matériel
publicitaire, les perspectives de ventes et les rapports
scientifiques, mais ils montrent également le souci constant du
laboratoire que « les interrogations sur le diabète et l'obésité ne fassent souffrir les ventes de Zyprexa® ». Basé à Indianapolis,
le laboratoire Eli Lilly est le sixième grand fabricant américain de
médicaments. L’an dernier, son revenu était de 14 milliards de
dollars.
Cette affaire rappelle ce qui s’est passé avec le Vioxx®,
dont Merck a arrêté les ventes en 2004 après la publication d’études
montrant que ce produit
engendrait des problèmes cardiaques. Ces deux produits étaient
considérés comme moins dangereux que les médicaments plus anciens et
meilleur marché, tous deux sont devenus les best-sellers des
laboratoires, mais tous deux ont généré des effets très sérieux.
Sous la pression des médecins et prescripteurs, Merck a conduit ses propres essais sur les
risques du Vioxx®, alors que Lilly n’a jamais procédé à ce genre d’étude pour
déterminer les risques de diabète avec le Zyprexa®.
Des milliers de procédures en cours
En 2005, Eli Lilly a accepté de payer 750 millions de dollars de dédommagements à 8 000
malades plaignants, mais des milliers d'autres procédures sont en cours. Selon certains psychiatres le Zyprexa®
devrait continuer à être utilisé malgré ses effets nocifs car il est
plus efficace que ses concurrents chez les patients gravement atteints,
alors que pour
d’autres confrères, le produit n’est pas plus efficace que les
médicaments courants. Il serait intéressant de connaître les liens qui
existent entre certains psychiatres et le
laboratoire.
Ely
Lilly a également été accusé d'avoir illégalement étendu l’usage du
médicament depuis l'automne 2000. En effet, une campagne bien organisée,
baptisée « Viva Zyprexa »,
intimait aux représentants médicaux d’influencer les médecins pour
prescrire le Zyprexa® aux patients âgés ayant des symptômes de démence.
Il fallait bien rattraper le manque à gagner ! Or
la FDA n’a jamais autorisé le Zyprexa® dans les cas de démence et a
même averti les médecins « qu'il accroît le risque de décès chez les
patients » en question.
Le 5 janvier 2007, Eli Lilly a, une nouvelle fois, accepté de payer plus de 500 millions pour
arrêter 18 000 procès en cours, sans compter les indemnités déjà octroyées à des dizaines de milliers de victimes. Ces indemnités
ont été beaucoup moins généreuses que les précédentes sous le prétexte
que, le Zyprexa®, comme d'autres antipsychotiques, comportait une mise
en
garde très claire sur les effets secondaires de diabète ajoutée sous
la pression de la FDA. Toutefois le diabète n’est pas le seul effet
indésirable du produit. Il peut également provoquer des vertiges, somnolence, dyspepsie, constipation, asthénie, tremblement, hypotension
posturale et même dans certains cas, rares tout de même, priapisme et leucopénie.
En privilégiant le règlement amiable (28 000 personnes ont été indemnisées), le laboratoire a obtenu que les victimes n’aillent pas jusqu’au procès, ce qui a permis aux actions de Lilly
qui étaient tombées de remonter très rapidement.
N’oublions pas que c’est ce même laboratoire qui fabrique le Prozac®, lui aussi sujet à de nombreux procès aux États-Unis mais pas en France.
En mars 2007, lorsque j’avais publié dans le journal Votre Santé
un article intitulé « Le Zyprexa® sera-t-il mis en examen ? », ce
dernier m’avait
valu une réponse personnelle de Dominique Amory, directeur de la
filiale française du laboratoire Eli Lilly. Il affirmait avec superbe
que « jamais Lilly ne s'est engagé dans une promotion
hors autorisation », et que sa première valeur est « le respect des autres ».
Dans sa lettre adressée à Votre Santé,
il répondait à mes accusations en affirmant que son groupe
avait toujours respecté les règles de transparence vis-à-vis du
monde médical, et il me reprochait mon « récit biaisé des faits » et les
suspicions dont je faisais état, qui
« pouvaient susciter la crainte des patients voire conduire certains
d’entre eux à interrompre leur traitement avec tous les risques
pourtant bien établis que cela implique. » En fin de
lettre, il disait espérer que je tiendrais compte de ces éléments à
l’occasion d’une prochaine analyse.
À
l’époque, j’ai préféré ignorer une telle lettre car j’estimais que ce
monsieur connaissait, aussi bien que moi-même, les graves accusations
qui pesaient sur le laboratoire, alors
qu’il écrivait : « […] l’ensemble de nos collaborateurs sont tenus
de respecter, à travers la charte de la visite médicale, les bonnes
pratiques de promotion favorisant le bon usage du
médicament ». Est-ce que le fait d’influencer les médecins pour
prescrire le Zyprexa® à des patients chez lesquels il accroît le risque
de décès et sans l’autorisation de la FDA, pourtant
laxiste sur le sujet, relève des « bonnes pratiques » et du
« respect scrupuleux d’une éthique médicale dans ses relations avec les
professionnels de la santé », dont se
targuait l’auteur de cette lettre ?
Je n’ai donc pas répondu alors, mais le 31 janvier 2008, dans sa Newsletter,
FiercePharma, association américaine qui dénonce les scandales de la
santé publique, répondait pour moi en avertissait ses
lecteurs : « Si les remords sont proportionnels aux sommes que vous
pouvez accepter de payer pour absoudre vos fautes, alors Eli Lilly doit
se sentir très coupable au sujet de son
produit le Zyprexa®. » Et à l’instar de FiercePharma, le New York
Times du même jour nous rappelait que la compagnie était accusée d’avoir incité les médecins à prescrire ce médicament aux patients
atteints de démence ou seulement déprimés, alors qu’il n’était agréé que pour les cas de schizophrénie et de troubles
bipolaires graves. Les deux médias confirmaient que le laboratoire et les parties civiles qui l’attaquaient essayaient de trouver un
accord pour arrêter les enquêtes gouvernementales et fédérales sur la commercialisation de ce produit.
Peu de temps après, tout le monde pouvait voir une vidéo dans laquelle Shahram Ahari,
un ancien visiteur
médical d’Eli Lilly, dévoilait le « cynisme absolu » et les
« combines » d’Eli Lilly pour influencer
les médecins et ajoutait qu’il n’avait aucun mal à reconnaître dans
la rue des patients psychotiques traités par le Zyprexa®. Quant aux
études médicales et aux fameuses statistiques
censées fonder scientifiquement la publicité des firmes, « elles
sont comme les prisonniers. Il suffit de les torturer assez longtemps
pour leur faire dire tout ce qu’on veut qu’elles
disent ».
Toujours
à la même époque, d'autres anciens visiteurs médicaux ont dévoilé les
techniques utilisées pour
influencer et manipuler les médecins et pour créer un terrain
accueillant en les « intéressant » par des voyages, des repas, des
cadeaux, des échantillons et toutes sortes de
gadgets que les visiteurs médicaux tiennent à la disposition de
« ces grands enfants innocents que sont les médecins, émerveillés par ce
qu'on leur offre et ne pouvant pas résister à la
tentation... »
C’est alors que j’ai décidé d’envoyer une lettre ouverte à Monsieur Amory par le biais du journal Votre Santé, et cette fois, il n’a pas répondu.
Il a quitté Ely Lilly France en juin 2011 « afin de poursuivre d’autres opportunités professionnelles ».
Enfin, le 17 juillet 2008, le juge
new-yorkais Jack Weinstein, en charge du recours collectif contre Eli
Lilly pour les effets indésirables du Zyprexa®, a violemment accusé les
instances
publiques de régulation, les autorités sanitaires et
particulièrement la FDA, qui ont « laissé faire Eli Lilly et
n’ont pas pris les mesures nécessaires afin que les informations
disponibles sur l’efficacité et les dangers pharmacologiques du produit
parviennent
rapidement aux médecins prescripteurs ».
En France, les membres de l’Afsaaps, rebaptisée Ansm (Agence nationale de sécurité du médicament), qui semblent ignorer
totalement ce qui se passe hors de l’hexagone et ont perdu tout sens
critique, n’ont pas tiré la moindre leçon du scandale du Mediator et de
ses
nombreux précédents. Ils « surveillent » le Zyprexa® et attendent
sans doute qu’on découvre des centaines d’accidents et de décès, avant
de le retirer de la circulation.
Aurons-nous un
jour en France un juge qui accusera le laxisme des autorités françaises
qui persistent à autoriser un médicament dont l’efficacité
est contestable, les effets secondaires indiscutables et le prix
exorbitant, et dont la renommée est basée sur des mensonges ?
Cependant, tout s’explique lorsqu’on apprend que le Zyprexa®, qui d'année en année, s'est imposé comme l’antipsychotique de référence, est, de loin, le médicament le
plus rentable du laboratoire car il reste l’un des médicaments les plus vendus au monde.
Ses ventes, qui représentent 28 % de son chiffre d’affaires,
s’élevaient à 5 milliards de dollars en 2010. On comprend pourquoi la
firme s’acharne à
défendre son produit et se permet de payer de telles sommes pour le
blanchir.