Association CTAH-Recherche
Le dossier du moisDécembre 2012
Dépressions bipolaires
En quoi une dépression bipolaire serait-elle si différente dʼune dépression classique ?
L'edito
Dr HantoucheDépression Bipolaire : Un Vrai Défi
On
oublie souvent de rappeler que la dépression est la manifestation
clinique la plus dominante dans les troubles bipolaires et de ce fait la
plus handicapante.
Elle représente un vrai défi pour de multiples raisons :
Le dossier de Décembre 2012 fera le point sur un sujet qui reste encore peu exploré et surtout en manque de stratégies thérapeutiques codifiées, notamment dans les différentes formes cliniques de la dépression bipolaire ; car il ne s’agit guère d’une entité nette ni d’un trouble, ce qui est source de confusion entre les différentes formes de dépression bipolaire et handicape l’interprétation des résultats des études pharmacologiques.
Dépression Bipolaire : caractéristiques dʼune entité encore mal connu
C’est quoi une dépression bipolaire ?Est-ce un épisode dépressif au sein d’un trouble bipolaire ? si oui, lequel ? BP-I, BP-II, BP-II ½ (dépression avec cyclothymie), BP-III (dépression avec hypomanie pharmacologique), BP-IV (dépression avec hyperthymie)… ?
Est-ce une dépression qui en soi est bipolaire, c’est-à-dire comportant des éléments hypomaniaques, en d’autres termes « dépression mixte » ? ou une dépression qui alterne de manière rapide avec des épisodes hypomaniaques (ce qu’on observe d’habitude dans le trouble cyclothymique) ?
Déjà avec ces questions basiques, on réalise qu’on est face à un problème complexe qui handicape toutes les études qui cherchent le traitement le plus idéal des dépressions bipolaires (cf dossier octobre 2012). En fait, il n’y a pas une Dépression Bipolaire mais plusieurs types et formes de Dépressions Bipolaires, qu’il convient de préciser quand il s’agit d’extrapoler les données des études publiées et les appliquer dans la pratique.
Je vais tenter d’apporter quelques éléments de solution à ce problème en séparant d’une part les épisodes dépressifs qui sont « bipolaires en soi » et d’autre part les dépressions qui surviennent au sein d’un trouble bipolaire (notamment dans ses formes atténués ou atypiques).
Mais dans la pratique
Le
problème majeur de la Dépression Bipolaire (DB) est son invisibilité,
c’est-à-dire que les médecins ne font pas ce diagnostic alors qu’elle
touche au moins 50% des dépressifs, qu’ils consultant en Psychiatrie ou
en Médecine Générale. Mes enquêtes en France et d’autres réalisées en
Europe et d’autres pays montrent la fréquence élevée de la bipolarité
non reconnue chez les dépressifs qui consultent ou sont traités avec des
antidépresseurs. Tout dépend comme on dépiste et définit les épisodes
d’(hypo)manie : soit les critères du DSM soit les scores obtenus sur des
questionnaires de dépistage (questionnaire de l’Humeur = MDQ/ Check-List d’Hypomanie = CLH-20 / CLH-32, 2 versions de 20 et 32 items.)
La publication la plus récente, celle de Hu et al 2012 (réalisée à Pékin avec la participation de 13 centres spécialisés) qui a inclus 1487 patients traités pour dépression. Le dépistage de bipolarité a été fait par la recherche des critères diagnostiques (questionnaire MINI) et la passation de la CLH-32. La proportion de bipolarité non reconnue est de 20,8% : 7.9% de BP-I et 12.8% de BP-II.
De plus l’étude a constitué 3 groupes : les unipolaires, les bipolaires et les patients avec des symptômes maniaques sub-syndromiques (positifs sur la CLH mais ne répondant à la totalité des critères du MINI). Les résultats que ce dernier groupe se positionne comme intermédiaire entre les deux autres :
Tableau clinique complexe
La dépression bipolaire présente un tableau clinique plus complexe que la dépression unipolaire, en se manifestant comme :
Dans
l’enquête que j’ai réalisée avec le Pr Jules Angst (Hantouche et al,
2009), nous avons observé que la dépression bipolaire au sein du trouble
bipolaraires-II se démarquait de manière significative de la dépression
unipolaire par les éléments suivants :
Mon étude avec Pr Angst, réalisée en France (inclusion de plus de 2300 dépressifs résistants ou récurrents), la comparaison des dépressions bipolaires (BP-II) versus unipolaires montre les différences significatives (tableau – conférence du Dr Hantouche, présentée au Congrès IRBD, Hong Kong, Nov 2008)
BP-II (N = 1351) | Dép Unipolaire (N = 879) | p | |
Sexe masculin | 36,9% | 28,9% | .0001 |
Age actuel (ans) | 46,4 | 47,7 | .03 |
Marié | 42,8% | 52,0% | .0001 |
Nombre symptômes dépressifs / épisode | 7,12 | 7,78 | .0001 |
Nombre des épisodes dépressifs | 4,66 | 3,74 | .0001 |
Début avant 26 ans | 55,2% | 40,5% | .0001 |
Survenue en post-partum | 23,8% | 18,1% | .008 |
Tentatives de suicide récurrentes | 27,8% | 19,4% | .0001 |
Abus de substance | 36,5% | 22,1% | .0001 |
Hauts et des Bas | 73,6% | 48,6% | .0001 |
Histoire familiale de Bipolarité | 18,5% | 6,2% | .0001 |
Histoire familiale de dépression | 46,5% | 39,9% | .002 |
Histoire familiale de suicide | 17,3% | 11,7% | .0003 |
Mettre une loupe sur l’épisode dépressif actuel
Les
témoignages dans ce dossier illustrent bien les caractéristiques des
dépressions bipolaires. En un mot, ce sont dépressions qui ne
ressemblent pas à une dépression "commune" ou typique.
Ces dépressions sont souvent caractérisées par une excitation psychique, une hyperactivité motrice, une anxiété intense, une tension intérieure, des idées suicidaires, une tendance à la confusion mentale… Elles sont typiquement des Dépressions Mixtes.
Ces dépressions sont souvent caractérisées par une excitation psychique, une hyperactivité motrice, une anxiété intense, une tension intérieure, des idées suicidaires, une tendance à la confusion mentale… Elles sont typiquement des Dépressions Mixtes.
Actuellement,
certains chercheurs travaillent sur la validation d’une échelle de
"Mixité" avec l’idée d’une évaluation systématique devant une dépression
des manifestations hypomaniaques (même si elles sont sous-seuil par
rapport aux critères de l’épisode hypomaniaque). D’autres experts
proposent plutôt une définition dimensionnelle :
Il
est important d’évaluer la présence au sein de l’épisode dépressif
actuel, des symptômes hypomaniaques notamment une hyperactivité
psychique ou comportementale. Selon l’étude de Benazzi, deux facteurs
hypomaniaques ont été observés au sein des dépressions :
Les
études de Benazzi (en collaboration avec Akiskal et Angst) sont en
faveur de désigner l’hyperactivité comme le phénomène nucléaire de
l’hypomanie (et non les symptômes émotionnels comme l’exaltation ou
l’irritabilité).
Koukopoulos va plus loin en décrivant 2 phases au sein des dépressions bipolaires mixtes :
Ce
qui revient à dire qu’avant de soigner une dépression, il importe de
rechercher les signes évocateurs de la présence d’un phénomène
d’excitation psychique, qui précède la phase dépressive proprement dite.
Une action thérapeutique à ce stade (comme prescrire du lithium ou un
antipsychotique atypique à petite dose) est capable de prévenir la
dépression – C’est la base de l’approche « Primauté de l’Hypomanie »
selon Koukopoulos et Ghaemi. Cette séquence d’excitation psychique et
comportementale suivie de dépression doit orienter vers la nature
bipolaire de l’épisode dépressif, que certains le qualifient d’un juste «
burn out » et d’autres de simple dépression réactionnelle au stress.
De plus, quand on compare, au sein des troubles bipolaires, les cas avec « dépression mixte » (dépression avec hypomanie subsyndromique ) versus « dépression pure », on constate que les dépressions mixtes se démarquent par une psychopathologie plus complexe et méritent d’être considérées et traitées de manière distincte et plus ciblée. Donc, il y a une confusion dans l’usage du terme « Dépression bipolaire » = une dépression associée à un trouble bipolaire n’est pas identique à une dépression mixte et les deux peuvent être désignées comme « dépression bipolaire ». (lien avec le document « Définir les dépressions mixtes »)
De plus, quand on compare, au sein des troubles bipolaires, les cas avec « dépression mixte » (dépression avec hypomanie subsyndromique ) versus « dépression pure », on constate que les dépressions mixtes se démarquent par une psychopathologie plus complexe et méritent d’être considérées et traitées de manière distincte et plus ciblée. Donc, il y a une confusion dans l’usage du terme « Dépression bipolaire » = une dépression associée à un trouble bipolaire n’est pas identique à une dépression mixte et les deux peuvent être désignées comme « dépression bipolaire ». (lien avec le document « Définir les dépressions mixtes »)
Allez au-delà des épisodes et savoir poser un diagnostic global correct
Il est toujours utile de rappeler que le
diagnostic ne doit jamais se limiter à la description de l’épisode
actuel mais sur un bilan plus ou moins standardisé et approfondi pour mettre en évidence les indices d’un trouble bipolaire.
Donc, le diagnostic de bipolarité doit être cadré dans la conception d’un trouble dans sa globalité en tenant compte des éléments capitaux comme :
Donc, le diagnostic de bipolarité doit être cadré dans la conception d’un trouble dans sa globalité en tenant compte des éléments capitaux comme :
Par ailleurs, la recherche clinique et l’expérience auprès de centaines de patients, confirme cette nécessité d’établir un diagnostic global qui inclus l’ensemble des indices significatifs de bipolarité.
Pour résumer, ce tableau présente les éléments utiles au repérage de la dépression bipolaire, répartis dans le temps : avant l’épisode dépressif, pendant l’épisode et après (sous traitement AD)
Modèles conflictuels de la Dépression Bipolaire
Donc besoin de changer le modèle de conception de la bipolarité. En effet, on constate un conflit entre deux modèles :
Cette réflexion est importante car elle permet de poser les « bonnes » questions avant de décider le choix du traitement et des cibles potentiels. Ainsi le bilan clinique ne se limitera jamais à la nature et la polarité de l’épisode thymique actuel mais à tenir en compte de la dimension hypomaniaque (au sein de l’épisode dépressif ou en dehors : avant ou après), de la sous dimension hypomaniaque (irritabilité et prise de risque), des traits cyclothymiques et ce qui va avec comme « impulsivité, réactivité émotionnelle, sensibilité interpersonnelle, conduites à risque, excitation psychique, hostilité, intensité affective… ». Le but est de dégager ce qui est essentiel au sein du trouble thymique et adapter le choix du traitement en fonction de cette cible « essentielle ».
Ce modèle ne s’applique pas seulement pour les psychotropes mais également pour la psychoéducation et les psychothérapies (cf document de Majdalani)
De quoi on a besoin pour traiter la dépression bipolaire ?
La dépression bipolaire souffre d’un manque énorme de preuves scientifiques sur les traitements appropriés – en aigu ou au long cours. Dans une synthèse de Nolen (2011), il compare le nombre des essais contrôlés dans la dépression unipolaire versus dépression bipolaire : 1500 contre 15 ! C’est choquant du moment où on sait que plus de la moitié des dépressifs sont bipolaires, un pourcentage qui est plus important si l’on considère les dépressions récurrentes ou résistantes (chiffre qui dépasse les deux tiers des dépressifs).
Le dossier d’octobre 2012 a été consacré aux antidépresseurs dans les dépressions bipolaires ; il montre d’une manière flagrante l’inefficacité des AF voir même leurs dangers potentiels. Mais les preuves sur ce les psychotropes efficaces dans la dépression bipolaire ne visent que les dépression bipolaires au sein du trouble BP-I !
Dans notre pratique, on observe que la majorité des dépressions bipolaires a reçu des AD au début des soins, et continuent à en recevoir même quand le diagnostic de bipolarité est posé ou suspecté. Une enquête révèle que plus d’un tiers des bipolaires connus continue de recevoir des AD en monothérapie (sans régulateurs ou antipsychotiques).
Ces réalités observées dans la pratique reflètent des conceptions erronées sur la maladie bipolaire, notamment en ce qui concerne les phases dépressives, comme :
Ces constats ne font que démontrer le retard du diagnostic de bipolarité et les risques d’exposer les patients à des traitements inutiles ou comportant un risque d’aggravation du trouble. Ce qui signifie la complexité de soigner les Dépressions Bipolaires.
La recherche clinique a donc besoin d’études pharmacologiques qui doivent satisfaire les points suivants :
Merci pour cet article complet et très intéressant. Il démontre bien à quel point cette maladie est complexe et "mouvante".
RépondreSupprimerIl démontre aussi la nécessité d'être extrêmement bien suivi et de ne surtout pas lâcher le traitement !
As tu essayé les TCC ? ça me semble très intéressant en complément
Garde courage
Bizz
Cath
Cath
SupprimerMon but sur ce blog est de ne pas spécialement parler de moi, mais aussi de comprendre et faire connaître cette maladie dont beaucoup de personnes, dites dépressives, en souffrent.
Les traitements je ne suis pas pour à 100%, hormis le "régulateur d'humeur'
Par contre un suivi psy est très important et nécessaire.
Pour ce qui est du TCC ( thérapie cognitivo-comportementale), je n'ai pas essayé, j'habite à la campagne et dans mon département, il n'y a aucun praticien.
Merci pour tes encouragements
Bises
Nathy
Bonjour,
RépondreSupprimerJe découvre sotre site et je vous félidite pour le travail de recherche qu'il représente.
Je suis le webmaster de CTAH.eu et je constate avec un plaisir mêlé tout l'intérêt que vous portez à ce site dont ce texte et d'autres sont des copies intégrales.
Avec plaisir, car cela montre que ces publications vous intéressent, j'en suis très heureuse et cela nous encourage à continuer.
Avec plaisir car vous citez votre source, ce qui fait preuve de votre soutien au travail réalisé sur ctah.eu.
Avec moins de plaisir car en recopiant intégralement des textes de ce site, vous détruisez tout le travail de référencement fait autour de ce site. Google appelle vos copies du dupliacate content. Celui nuit énormément à la mise en avant du site qui fait la copie (vous manquez donc de reconnaissance de la part de Google malgrè votre excellent travail de recherche) et cela nuit au site qui est copié.
Je vous propose de poursuivre votre travail d'information tout en valorisant mieux votre travail et celui de vos sources d'une manière très simple :
plutôt que de recopier les textes de vos sources, faites-en un résumé de 300 mots au moins et faites un lien vers sotre source. Google reconnaîtra cet article de taille respectable comme un source d'information et vous présentera mieux dans les résultats de recherche, vous aurez plus de visiteurs.
De l'autre côté, les sites copiés conservent la valorisation de leur textes et l'effort de référencement qu'ils fournissent est préservé.
Côté internautes, votre site sera une vraie concaténation d'information sur le sujet, une source complète d'information, il est donc à même de devenir une référence très pertinente.
En vous souhaitant tout le succès que mérite vos exposés,
Le webmaster de http://ctah.eu
Bonjour,
SupprimerJe ne souhaitais en aucun cas nuire à votre site en le nommant, bien au contraire.
Dorénavant je ferais un résumé tout en citant la source comme vous me le suggérer.
Cordialement
N. Roche